L’idée en moto, c’est de ne pas l’échapper. À l’arrêt, c’est un moindre mal, mais ce n’est pas fameux pour l’estime de soi, surtout devant public. Remarquer qu’à 100 à l’heure sur l’autoroute en plein trafic, c’est encore une moins bonne idée. Personne ne veut ça. Déjà, juste tomber, peu importe la manière, on n’est pas fait pour. On est mou et fragile, ça se déchire, se brise et arrête de fonctionner à la moindre contrariété.

Prenez juste «On Any Sunday», le fameux documentaire de Bruce Brown produit par Steve McQueen en 1971 sur les compétitions de motos, on y tombe 82 fois sur les 96 minutes de la durée du film. La première pirouette y arrive après seulement 1 minute et il y en aura deux autres avant le générique, et encore une autre pendant ce même générique. Steve McQueen se gardant la 82e pour la fin.

on any sunday steve mcqueenIl y a beaucoup de «Fais-moi mal Johnny, Johnny, Johnny» dans notre relation avec la moto. On veut bien que ça fasse boom, mais pas bing. Et certainement pas devenir le «Sausage Creature» de Hunter S. Thompson. C’est prendre des chances, comme être stupide à jeun, flamber le dernier 100$ au casino, dire je t’aime. Les recettes pour se faire souffrir sont légions, cependant, prendre des chances, il faut bien. Mettre un pied devant l’autre c’est être en constant équilibre et risquer de tomber, mais c’est surtout avancer. L’équilibre, c’est le «Bonne route» que l’on se donne avant le départ, ce qui veut dire de ne pas quitter le moment présent, d’être en communion avec l’environnement, sa machine et soi-même. Nous, à 5 kilomètres à l’heure dans un bouchon ou Valentino Rossi à 300 sur le circuit de Mugello, c’est pareil (presque). L’idée, c’est d’en sortir en un seul morceau avec le sourire aux lèvres.

Et cette expression légèrement rieuse, ce n’est pas ce qui manquait à Steve McQueen en 1971, et il n’était pas le seul. Pas besoin de faire un Dakar pour avoir le sentiment d’un accomplissement. Deux coins de rue peuvent suffire. Après, ne reste qu’à les additionner.bruce films on any sunday

La moto, il faut y grimper, ça demande un effort, une stabilité. Déjà là, à l’arrêt, il y a comme une récompense. Cette solidité précaire que l’on maintient en roulant sur deux roues, vite ou lentement, qu’importe, tout est là. Puis c’est le plaisir de la maîtrise d’une flopée de chevaux que l’on guide du bout des doigts, littéralement, vraiment. Charles Lindbergh, celui de la traversée de l’Atlantique en 1927, se plaisait à dire qu’il n’y avait pas de mots pour décrire les sensations ressenties aux commandes d’un avion. Les deux pieds sur terre, métaphoriquement parlant, rouler à moto est ce qui se rapproche le plus de l’émoi vécu par Lindbergh. Ce qui est émouvant, ce n’est pas un film triste, c’est d’être là pleinement, tomber s’il le faut, se relever, recommencer.

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