Je me souviens de la première fois où j’ai voulu partir. J’avais obtenu mon permis 6A d’apprenti conducteur quelques heures auparavant, malgré la pluie et un évaluateur particulièrement rigide. Ma Harley Davidson était stationnée depuis quelques semaines déjà dans la cour arrière. Je l’avais piloté sur une distance de 40 pieds gros max, dans le stationnement de chez Lemaire à Drummondville. C’est tout. Là, c’était le temps de la conduire pour de vrai. Mon problème : personne, absolument personne dans mon entourage n’avait de moto.
La SAAQ ne veut pas que tu roules tout seul pendant plusieurs mois. Comme si le meilleur moyen d’apprendre c’est d’attendre. Anyway, c’est comme ça. T’es mieux de t’organiser que je me dis.
L’apprenti cherche des amis
“Besoin accompagnateur moto apprenti SAAQ” que j’ai écrit dans la barre de recherche de Google. Ça fait presque 10 ans. C’était avant les dizaines de groupes d’amateurs de moto sur Facebook. Je me suis retrouvé sur des forums de discussion, des blogues et des sites de rencontres. Homme cherche homme pour rouler.
J’ai écrit plein de messages et rapidement, ma boite de courriel s’est remplie de gars et de filles qui répondaient à ma demande. Quelques jours après, je partais pour ma première ride. C’était le début d’une longue série de rencontres. Simple de même.
De tout ce monde-là avec qui j’ai roulé, y’a des gens qui ont fait d’interminables détours pour venir me chercher devant la maison et me ramener après. Sans jamais rien demander. Ils sont apparus, m’ont donné une demi-journée ou une soirée de leur temps et that’s it. Généreux comme dans gratuit. Pas besoin de savoir leur nom. Juste dire “Merci”, à la fin.
Des inconnus comme meilleurs chums
Y’a eu le rebelle de Saint-Basile qui m’a impressionné avec son gros FLHX et ses straight-pipes en longeant la rivière Richelieu jusqu’aux lignes américaines. Pendant notre ride de trois heures, j’ai rien entendu d’autre que son bruit d’exhaust assez fort pour me faire vibrer les chakras. On ne s’est pas dit un seul mot. Sauf: “On va jusqu’aux douanes”, quand il est arrivé devant chez nous. J’ai compris qu’entre bikers, on a pas besoin de parler beaucoup.
Et le quarantenaire un peu nerveux, avec sa BMW Adventure, qui allait diablement trop vite. Il était sévère avec moi. Sauf pour les limites de vitesse dont il se foutait carrément. “Fais pas si, fait pas ça. C’est dangereux. Tiens-toi droit. Ton angle mort. La courbe, prends-là comme ça. Tu comprends? La tête haute! Regarde loin”. Il a pris le temps de me donner un tas de conseils, sur le bord de la 112, malgré la pluie froide d’un printemps hivernal. J’ai appris plus avec lui dans un aller-retour Chambly-Rougemont que dans mes seize heures de cours de conduite.
Ensuite, un gars, assez vieux, avec une Honda début 80 qui pissait l’huile et boucanait. Il avait traversé le Canada avec. Plein de ducktape sur son banc, un radiocassette et un windshield immense. On n’a pas été loin. C’était le gros soleil et il m’a parlé longuement de sa fille avant de repartir dans un nuage bleuté qui rendrait fou de rage le plus modéré des environnementalistes.
Puis y’a eu cette femme sur une grosse V-Star avec mille gogosses accrochées dessus, des toutous en peluches dans le dash et des lulus roses collées sur son casque. Un vrai char allégorique. Trente ans de moto. Trente ans d’histoires. J’ai passé plus de temps au Tim Hortons à l’écouter raconter ses aventures qu’à rouler. Elle m’avait dit: “On va juste s’arrêter pour un p’tit café. J’aime ben ça quand je fais de la moto, m’arrêter pour un p’tit café”. On est resté 1h devant deux cafés et des TimBits, à deux coins de rue de chez nous.
Un autre gars, mon âge, une Ninja rapide comme trois avions. Il a été patient malgré la bombe sur laquelle il était assis. On s’est arrêté pour mettre du gaz. J’ai fait déborder ma tink. Il s’est payé ma gueule un peu, mais m’a aussi donné un truc pour la prochaine fois. On a roulé jusqu’à tard. C’était la première fois que je faisais 200 km d’un seul coup, dans le noir en plus.
Et d’autres. Plein d’autres.
Le retour de l’ascenseur
Aujourd’hui, je vois sur Facebook de gens qui écrivent: “J’ai envie de rouler ce soir! Sauf que j’ai besoin d’un accompagnateur :-(“ ou encore un « Pensez-vous que c’est ben grave si je roule pas d’accompagnateur? ».
Alors au-delà de tout le fun qu’on aura à rouler avec nos chums, essayons cet été de prendre le temps de faire au moins une ride avec un inconnu avant la fin de la saison pis partager un peu de nos histoires.
On va l’aider à apprivoiser sa machine. On va lui donner deux ou trois trucs. Pis on va disparaitre. « Random act of kindness », comme on dit.
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