J’ai pris congé sur un coup de tête. En fait, c’est faux, hier en fermant l’ordi au bureau, je vois qu’on prévoit 24 degrés demain. J’ouvre l’ordi. J’écris à ma boss. J’ai pris congé pour cause de Météomédia et urgence de vivre. J’attends patiemment que l’huile encore chaude de ma Yamaha en finisse de s’écouler pour lui transfuser du sang neuf et profiter des degrés.

Mon congé a commencé par le dernier Meet & Greet 2016 de Clockwork, initiative de mon cousin Sam, où je faisais ma deuxième apparition. Je ne suis pas un gars de grosse gang et la première m’avait laissé un drôle de gout en bouche.

Je suis un nouveau motard, sur le tard à mes presque 40 ans. Je viens du monde du vélo. Celui ou le rare son d’un moteur est celui qu’on entend dans le télésiège en remontant. La moto, c’est venu une fois l’impression d’avoir fait le tour du bike (le futur m’a prouvé le contraire, mais ça, c’est une autre histoire), parce que oui, bon, le vélo, c’est le bike, désolé de la confusion, mais pour moi ce mot est important. La moto, je gardais ça pour plus tard, parce que je cherchais la même liberté que j’éprouve en bike, mais partout, tout le temps. Au lieu de la route plate qui mène au centre de ski ou au réseau de sentiers, j’ai voulu tartiner mon plaisir sur toute la toast, pour qu’il commence à la sortie de ma cour. Pas question de faire des laps dans le quartier, the world is my oyster, c’était à peu près ça l’intention. Dans ma famille, le gène de la moto est très présent, la majorité de mes oncles en ont, en font depuis toujours. Join the club.

Mon premier Meet Clockwork en 2015, c’était une expérience du genre mixed feelings. Intimidé, sentiment de ne pas être à ma place avec mon sport-touring, mon manteau de nylon et la panoplie de protection qu’un homme de mon âge considère comme inévitable en moto, sentiment d’être un outsider. Je venais tout juste d’avoir mon permis, les chicken strips encore bien frais, j’étais un des seuls non-café, non-harley, non-modifié, un électron libre dans le microcosme spontané du viaduc Casgrain. J’étais le mouton noir, celui tente de voir s’il ne s’est pas trouvé une nouvelle gang.

Je suis parti vite, l’impression de ne pas avoir trouvé ce que je cherchais, pas assez roulé, pas assez gossé les doigts dans le cambouis, rien à raconter. Je range la diapo dans la boîte des expériences qui ne se répèteront peut-être pas, celle des histoires insolites.

Tenace, je suis allé au Fooligan Derby, le dirt track, ce printemps, ma première ride en grosse gang, nerveux, malgré mes 15 000 kilos au compteur en 6 mois. J’ai contribué à l’effort de guerre quand un camarade jusqu’alors inconnu tomba au combat sur l’autoroute 20 – j’ai failli lui passer sur le corps, pas trop souvent svp – et eu la brève impression d’avoir atteint quelque chose de plus grand. C’était peut-être le fait d’avoir tous touché à la même huile en montant son bike dans une van, y’a de ces expériences qui soudent à froid des liens invisibles, forts et brefs moments fugaces qui se poussent, mais restent là gravés dans le sang. Après la course, mon paquetage complet de camping – caisse de 12 incluse – sur la moto en guise de test en prévision de mon voyage, suis reparti chez moi dans la lueur du soir avec deux scramblers qui sentent l’huile vaporisée. En cortège jusqu’à Longueuil, encore dans le coeur l’impression de ne pas être tout à fait à ma place une fois que les motos font place aux mots, mais une connivence devinée dans le coup de tête avant la séparation du pont Jacques-Cartier.

Flash-forward à hier soir. Bien avancé dans ma 2e saison (je reviens d’un trip de 4000 km aux Iles-de-la-Madeleine, je vais au dernier Meet de 2016 avec un ami qui partage mon penchant pour le sport touringness et le vélo. Il est le genre qui a des idées et qui les réalise, pour qui l’adaptation et le patentage sont une religion (on commence d’ailleurs à regarder comment monter nos bikes -vélo- sur nos bikes -moto- pour s’éviter l’auto). Cette fois on a un peu l’impression de contribuer à quelque chose par notre seule présence. Mais on reste peu longtemps, la faim au ventre et la poutine portugaise en tête, on s’éclipse en ninja. Pas le modèle, la façon, mais bon t’avais compris.

Ce matin au réveil, je tombe sur cette vidéo où on présente l’histoire d’un homme dont le parcours de vie est certainement plus difficile que le mien. 10 000 km en scooter juste dans l’univers de son driveway, il se fait offrir une galaxie complète sur un plateau. Je le reçois comme un poème, une ode à la liberté. Je feel warm et fuzzy, ça fait 2 + 2 dans ma tête, aboutissement d’un paquet de moments désordonnés, réarrangés par une illumination digitale qui s’apparente à une pub. Whatever l’enveloppe, le message me porte droit au cœur.

Cool story bro, larme à l’oeil. Drôle comment, après avoir roulé ma bosse un brin, ma perspective des choses a changé. Moi qui comprenais mal mon oncle et ses choix de véhicule (un Boss Hoss avec moteur démesuré et l’occasionnelle remorque, il partait régulièrement en camping), les gens qui roulent en scooter, les gangs de boomers sur la 20, les ape hangers, l’homme que j’ai croisé, au détour de la 327, avec une cage décapotable pour son chien installé à l’arrière, tout ça fait maintenant un quelconque sens. On cherche tous un peu la même chose, malgré nos idéaux, nos moyens.

Quand je te croiserai, autant en ville que sur les chemins moins fréquentés, sois assuré que ma main lèvera de mon guidon ou ma tête opinera dans ta direction, question de bien te montrer que l’engin que tu enfourches n’a aucune importance à mes yeux, et que je reconnais que toi aussi tu es connecté à quelque chose de plus grand, plus beau.

Time’s up. Carter prêt à remplir. Fini la sensiblerie. See you on the road, l’ami.

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