Texte:
Charles-Édouard Carrier
Photographies:
Charles-Etienne Pascal
ONELAND était à la 7e édition du One Motorcycle Show de Portland. Les habitués l’appellent simplement The 1 Moto. L’exposition met en vedette la moto classique, les builders et une quantité impressionnante de canettes de bière. Les machines, à mi-chemin entre œuvres d’art et bêtes urbaines, donnent le goût de tout plaquer et s’en tenir à une vie sur deux roues. La clientèle éclectique, l’énergie du lieu et le côté très roots du One place l’événement quelque part entre le party de garage et le weekend au chalet. Compte-rendu.
DE NOBODY À VIP
En après-midi, lors de l’installation de la moto Fury de Clockwork, il est difficile d’imaginer l’ampleur de la foule. Mais quelques heures plus tard, à l’ouverture des portes du The One Motorcycle Show, une longue file s’étire sur Salmon St, de la 8e à la 10e rue. Au moins soixante minutes d’attente, sous la pluie.
Contrairement à ONELAND, les gars de Clockwork (CWMC) ont des bracelets VIP. Il est hors de questions que l’on fasse la file. On tente notre chance d’entrer par la sortie. Est-ce que c’est simple comme ça dans la vraie vie?
Non.
Bâtit comme le tronc d’un séquoia, le portier prend tout de même la peine de nous donner un petit cours de mathématique, rappelant que si on a deux bracelets VIP et qu’on est quatre, il nous manque deux bracelets VIP. C’est logique.
Nos partenaires de CWMC arrivent à mettre la main sur deux bracelets VIP/BUILDER qui permettent non seulement de passer devant tout le monde, mais aussi d’avoir accès à une petite pièce mal aérée où la bière, le vin et le whisky coule à flot. Malheureusement, on ne découvre ce privilège que le lendemain, après une première soirée à boire des canettes de Pabst à grands coups de 3$.
UN ESPACE AVEC DU VÉCU
La première chose qui frappe en entrant au The One, outre les sacrées belles motos et l’ambiance électrique, c’est la clientèle. Il y a quelque chose de parfaitement équilibré dans ce groupe rassemblé pour le weekend. Le One Motorcycle Show, c’est un peu comme si on invitait Elvis, Iggy Pop, Madonna, les Black Keys, Snoop Dog et Diana Krall au même party.
The One s’organise dans une ancienne usine où l’on faisait fondre le métal, où des centaines d’hommes ont brûlé leurs mains dans l’espoir d’une vie meilleure et peut-être un jour, avoir une moto devant la porte. L’American Dream. Les ouvriers n’y sont plus depuis longtemps. Ils ont quand même laissé une partie d’eux-mêmes entre ces murs au revêtement défraichis soutenus par onze poutres de bois gigantesques.
UNE FOULE ÉCLECTIQUE
Les gens qui visitent The One n’ont en commun qu’une chose : la moto. Au-delà des styles, de l’âge ou des origines, la moto à ce pouvoir de connecter. En journée, il y a beaucoup de familles. Là-bas une femme mi-trentaine rockabilly, s’accroupit pour replacer le collet du mini perfecto que porte son petit garçon aux cheveux lissés vers l’arrière, copie conforme de son père.
Des chiens, un gars en triporteur, des grands-parents, des enfants en trottinette, puis ce mec du Nebraska adossé au mur, près du bar. Il est assis sur une vieille chaise de camping décolorée par le soleil. Il doit peser plus de 300 livres. « The last two years, I got fucked, no place for me to sit, so this year, I got my own chair. Where you from? ». C’est la troisième année qu’il vient à l’événement. Il fait le tour des motos dès l’ouverture et le reste du temps, il le passe assis dans sa chaise, une canette de Pabst à la main. « I just like the vibe. Watching the kids and their bikes. Bunch of crazy people out there. Very talented ». Il aime les motos. Il roule en Harley Trike. Quand il fait beau seulement. Plus jeune et plus slim, c’était un Dyna.
Il y a aussi ce petit garçon, huit ou neuf ans. Il tient dans sa main un épais carnet. Il est devant une Harley Davidson Sportster Iron Head 1979 réalisée par Dave Johnson. Il note soigneusement la marque, le modèle, l’année. Il fait le tour de la moto, plusieurs fois. Il consigne dans son cahier ce qu’il aime de la moto, ce qu’il aime moins, ce qu’il ferait différemment si c’était lui le builders. Sa mère est derrière lui. Même si elle ne semble pas partager la passion de son fils, elle attend patiemment qu’il termine son analyse. Elle fera le tour des 74 motos avec lui. C’est comme amener son gars à la patinoire. Mais ce n’est pas de la glace, c’est le métal, la moto, l’art.
Il y a autant de femmes que d’hommes. Les couples ont l’air bien, il y a du love dans l’air. C’est peut-être à cause de la St-Valentin. Une pin-up ultra sexy se moque de son chum tout droit sorti du New York des Ramones. Il a du burrito plein son épaisse moustache. Elle lui nettoie la bouche avec une napkin du See See Motorcycles, organisateur du show, sur place pour vendre du café et des bagels. La bouche propre, il l’embrasse. Grease rencontre Sid & Nancy. Un couple qui se french, Sex Pistol ou non, aussi badass peut-il être, c’est tout le temps cute.
QUAND LA NUIT TOMBE…
Pour souper, on se goinfre de pointes de pizza Sizzle Pie qui fait des affaires d’or. À l’achat d’une pointe, on remet une guenille souvenir. Red Clouds, The 1 Moto et Harley en donnent aussi, chacun ayant imprimé son logo dessus. Les collectionneurs en raffolent, même si ça commence à faire pas mal de guenille dans les poches du jeans.
L’évènement familial d’il y a quelques heures se transforme graduellement en party rated-R un peu plus trash et un step plus sexy. On est dans un show de moto, ce n’est quand même pas le Salon du livre.
Un groupe de outlaws prend le contrôle de l’endroit en s’imposant en prestance plus qu’en nombre. Ils sont partout, se déplacent en grappes, les membres en règle au centre, les prospects en bouclier autour d’eux et les sympathisants, sans patches, ferment la marche.
Les policiers ont aussi fait leur entrée. Moins structurés que les bikers, ils circulent nonchalamment entre les motos. Près de la porte principale, des motards commentent, avec deux policiers, le travail exceptionnel accompli par Suicide Machine sur une Harley Street 750. Devant la moto, les aspirations professionnelles ou la cargaison de fusil qu’on s’apprête à faire passer à la frontière ne comptent pas. Demain on combattra le crime, ce soir on boit de la Pabst et on se donne des tapes dans le dos. Pendant ce temps-là sur scène à l’autre extrémité de l’entrepôt, un imitateur de Prince multiplie les « You are beautiful » lancés à une foule dominée par des blousons de cuir à studs, patchs et macarons, tout ça franchement plus virile que son habit de satin mauve.
Discrètement, ONELAND prend quelques photos de ce trio improbable. Tout va bien jusqu’à cette photo où le plus petit du groupe, tatoué d’un « 1% » dans le visage, tourne la tête et fixe durement l’objectif avec des yeux définitivement moins doux que ceux de Jax Teller des Sons of Anarchy. C’est là qu’on se dit qu’on devrait peut-être retourner photographier des motos. Tout ça sur les dernières paroles de Purple Rain. (on aurait bien voulu publier la photo, mais on est pas game)
UN AFTER PARTY SIGNÉ WHISKY
Au Charlie Horse Saloon, à deux coins de rues du The 1 Moto, on arrive à se créer une pleine table qui réunit le gars de Red Clouds, leurs amies, Clockwork Motorcycles et ONELAND. Puisque c’est la consigne de commander au bar, à tour de rôle quelqu’un se lève pour y aller et revenir les bras pleins de Miller High Life. Chaque fois, ça crée un mouvement de chaise musicale et tout le monde finit par parler à tout le monde, même à l’ami de l’ami que personne ne connaît vraiment, mais qui colle à notre table et nous vole de la bière.
Si la barmaid qui porte un t-shirt sur lequel est inscrit: « Be polite or go fuck yourself » semblait tout faire pour nous ignorer au départ, on gagne en crédibilité lorsque l’on commande une tournée de whisky et laisse un pourboire affreusement élevé, s’apercevant trop tard qu’il y avait un billet de cinq dans la liasse de 1$ laissée devant la pompe à bière. Même en voulant être bien gentil et poli, la hantise d’un « Go fuck yourself! » freine l’envie de lui demander un remboursement d’une partie du généreux tip.
Gros comme des verres d’eau de cafétéria, les shooters de whisky marquent un nouveau départ dans cet afterparty du One Motorcycle Show au Charlie Horse. L’effet du Red Stag atteint son maximum au moment où un band s’invite et déchire le mur du son avec les premiers accords d’un set de trente minutes au cours duquel le chanteur s’asperge de bière, le batteur se déshabille et la file d’attente pour la toilette s’allonge jusqu’à l’ampli du bassiste. C’est à partir de là que ça devient un peu flou pour tout le monde.
LE HANGOVER
Pour la dernière journée du One Motocycle Show, plusieurs builders et participants sont à la course de flatrack de Salem en train de combattre un solide mal de bloc, y compris les coureurs dans la catégorie Hooligans qui pour la plupart, étaient les deux pieds dans le party la veille.
En fin d’après-midi, les builders sont de retour de la course. La 7e édition du The One Motorcycle Show est officiellement terminée. Un à un, ils descendent leur moto du socle en bois blanc qu’on leur avait attribué il y a trois jours. Pour certain, ce passage obligé est plus difficile. C’est le cas du gars de Holiday Cycles qui nous demande de l’aider à monter sa moto sur la plateforme de son camion. Son hangover a l’air plus douloureux que la moyenne. « I got so fucked up last night, I spilled cans of beer on my bike and apparently went quite socially awkward too. I’m having the worse hangover of my life. Seriously. But hey, that was fun. Any of you guys want a sip of whiskey? » Il se prend la tête à deux mains et monte dans son immense pickup. À l’arrière, il y a sa vieille Yamaha attachée de façon aussi aléatoire que douteuse. On peut prévoir que dans son cas, l’atterrissage sera particulièrement difficile.
LES PAROLES D’UN SAGE : MOTO GALORE
La moto de Clockwork Motorcycle est de retour dans la van, on se dirige maintenant vers Milwaukee pour le Mama Tried Motorcycle Show. En sortant de Portland, il a ce silence au sein du groupe qui en dit long. Chacun revoit en boucle les moments forts du weekend. Et en tête de liste, il y a le vieux Kenneth de Moto Galore que nous avions rencontré la veille à son atelier.
Kenneth B. Wright, artiste installateur et builder hautement respecté à Portland, se tient immobile au milieu de la foule. Coiffé d’un vieux chapeau, les bras levés vers le ciel, les yeux fermés, il est en route sur la Stairway to Heaven. Derrière sa longue barbe que l’on perd dans la pointe de ses cheveux longs, il affiche un immense sourire. « Feel the vibe. Can you? Can you feel all this energy? So many great people. Let’s make it something eternal ».
C’est ce mélange de beau, sale, authentique et artistique qui donne ce tableau presque poétique. C’est ça le One Motorcycle Show. Et Portland, avec son énergie de la côte Ouest, son darkside déglingué et chaotique, ses gens extravertis et colorés et sa neige qui tombe en pluie contribuent aussi grandement au succès du The One. Et nous reviendrons.
T’as raison Kenneth, a good vibe should last forever.
Parcourir la galerie photo de ONELAND au One Motorcycle Show de Portland.
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